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Depuis quelques temps, la situation internationale évolue. Après la capitulation de la Turquie le 30 octobre et celle de l’Autriche-Hongrie le 4 novembre, une certaine nervosité s’empare des Allemands. Certains s’emparent de tout ce qu’ils peuvent trouver. D’autres mènent de longs charrois de matériel militaire et de charrettes pleines d’un butin hétéroclite volé en cours de route. Les exactions allemandes sont encore le lot de tous les jours, mais la rumeur d’une fin proche de ce conflit qui n’a que trop duré commence à se répandre. L’espoir renait dans le cœur de chaque villageois.
Chez le brasseur quenastois Lefèbvre, des officiers allemands réquisitionnent les pièces d’habitation pour leur usage personnel. Leur conduite indigne fait penser à une fin de règne. On a vu depuis le 8 novembre passer des hordes de soldats s’en allant, refusant d’aller au combat. Une incroyable pagaille règne au sein des troupes de l’envahisseur.
La garnison allemande basée à Rebecq
Le départ des Boches de Longwy (Carte postale « Le Souvenir Lorrain »)
Le dimanche 10, la nouvelle se répand: l’Empereur et le Kronprinz renoncent au trône. La révolte du peuple allemand gronde outre Rhin. Les occupants de chez les Lefèbvre vendent du beurre, du sucre, du saindoux avant de s’apprêter à décamper. Des aéroplanes alliés circulent de plus en plus dans le ciel. Les boches s’enivrent comme pour conjurer le sort. Les trains stationnés en gare de Quenast sont pillés. Les villageois se servent de denrées de toutes sortes.
Lundi 11. L’armistice est signé à 11 heures. Quelle joie et quel délire s’emparent de la foule de villageois rassemblés sur les places des villages. On pavoise avec ce que l’on peut trouver comme drapeau. Le soir de ce jour tant attendu, on fait bombance! A Rebecq, la musique sort dans les rues. Jamais on n’aura entendu jouer la Brabançonne tant de fois.
Mardi 12. Les Boches s’en vont. Il y a encore des échauffourées avec eux et les pilleurs de trains. Il y a des tués à Virginal. On entend des explosions retentir au loin : il s’agit des trains de munitions que l’on a fait sauter. Partout on attend avec impatience les Alliés. Nos souverains sont à Gand le 15 et on espère leur entrée triomphale à Bruxelles pour le 18.
Les officiers anglais logeant chez les Lefèbvre
Le matériel roulant anglais est rangé sur la Grand-Place de Quenast et gardé par des sentinelles indiennes
Ce lundi 18 novembre, on annonce l’arrivée des Anglais pour midi. A 12 h 30, la cavalerie britannique fait son entrée à Quenast. La musique entonne les hymnes nationaux et le maïeur prononce un discours de bienvenue à nos libérateurs. Deux cents militaires anglais arrivent à Quenast. Ils sont accompagnés de 150 Gurkhas (soldats des régiments hindous) et de 700 chevaux. Tout ce monde s'installe joyeusement dans la commune. Des rondeaux sont organisés le soir. On danse et on rit. Tous participent à la liesse générale. Chez les Lefèbvre, les officiers britanniques ont remplacé les boches. La différence est énorme entre les occupants, leur supériorité et leur morgue et les libérateurs affables polis et serviables. Ils installent même l'électricité et le téléphone dans la maison! Tous s'emploient à s'entraider et cette atmosphère de convivialité et de joie débordante atténue le souvenir de souffrances et de misères endurées pendant quatre longues années de guerre. Tous les villages avoisinants vivent la même fête. Les salons (salles de bal) de Rebecq, Saintes et Bierghes sont bondés dès le début des soirées. Les militaires anglais s'emploient à leurs activités le matin et l'après-midi est en général consacrée à des matchs de football qui rassemblent des équipes de soldats et de villageois.
Les réveillons de Noël et de nouvel an se passent dans une atmosphère de paix retrouvée. Lentement, chacun essaye de reprendre ses activités. Le Major qui commande la troupe stationnée à Quenast s’en était retourné chez lui pour y passer les fêtes. On apprend qu’il a succombé à la maladie de la grippe espagnole qui fait des ravages là-bas. Des bals sont offerts par nos hôtes. Le dimanche, des séances de cinéma sont organisées à la Maison du Peuple.
Le 17 février, le capitaine Woods qui loge chez les Lefèbvre tombe malade. Il est décidé de le transporter à l’hôpital de Hal. Apprenant qu’il a contracté une pneumonie, on télégraphie à son père le 23. Deux jours après, on apprend avec stupeur que le capitaine est décédé. Des funérailles solennelles, auxquelles assistent nombreux quenastois, sont célébrées au cimetière de Hal où le soldat anglais repose désormais.
Le capitaine Woods entouré de ses hommes, à Rebecq
Le Capitaine Woods et ses funérailles à Hal
Soldat anglais chez E. Martens, 61 rue du Pont à Rebecq
Britannique hébergé chez les Srtulus
Les soldats britanniques stationnés à Quenast et Rebecq sont en mission de contrôle. Ils y assurent l’ordre et l’application des accords d’armistice et aident les populations locales à se réorganiser. C’est une aubaine pour les nombreuses familles qui se retrouvent démunies de tout, la paix revenue. Le pays est exsangue, les Boches sont partis avec tout ce qui restait. Grâce à l’assistance des Alliés, l’approvisionnement de base est rapidement organisé, la vie peut reprendre plus ou moins normalement. Les institutions sont rétablies, les communes peuvent compter sur les vainqueurs pour les aider à restaurer les rouages d’une administration bâillonnée pendant quatre années.
L’industrie et le commerce sont également à remettre sur pied. Bref, sans l’apport des libérateurs, il nous aurait fallu des mois en plus pour retrouver une vie économique et sociale plus ou moins normale. Des amitiés se créent entre les villageois et les Britanniques. Si ces derniers offrent des bals auxquels la plupart des dames et des jeunes filles désirent assister, les Belges ne veulent pas être en reste et invitent leurs hôtes à des soirées dansantes extraordinaires où les orchestres participent activement. Des carnets de bal sont donnés aux jeunes femmes qui y notent les militaires avec qui elles veulent danser. Il est à noter qu’à ces soirées, il n’est pas servi d’alcool, ni de bière, des orangeades, du thé et du café accompagné de biscuits sont les seules denrées qui y puissent être consommées. La plupart des Britanniques stationnés pendant les premiers mois de 1919 dans nos villages retourneront chez eux après quatre années de mobilisation et de combats au cours desquels ils auront vu tant de leurs compagnons d’armes se faire tuer. Eux aussi, ils auront pu se reposer un peu, malgré tout le travail d’assistance qu’ils ont apportée aux Belges.
A gauche, Deux Indiens posent chez le photographe Desagre, à Quenast
A droite: une famille rebecquoise avec leur hôte
Une partie de la troupe britannique à Rebecq
Soldats indiens entourés par le service de secours populaire de Quenast
Soldats indiens et gamins quenastois
Une famille de tuiliers entourée de son hôte anglais
Militaires britanniques chez les Wilbecq, 69 rue du Pont, à Rebecq
Cavalier anglais sur le plateau de la gare de Rebecq
Grâce à l'intendance des forces Alliées, nos population ont pu être rapidement alimentées décemment